UE-Mercosur, perdant-perdant, un coup bas en catimini…

La CGT dénonce et combat le Mercosur

Éditorial de l’Humanité du 1er juillet 2019. Perdant-perdant

L’éditorial de Patrick Apel-Muller. Le quart des échanges mondiaux est ici concerné, 18 000 milliards d’euros, qui seraient livrés à une concurrence furieuse

Un mois vient tout juste de s’écouler depuis les élections européennes que MM. Juncker et Macron sortent du bois. Le premier a signé l’accord transatlantique UE-Mercosur et le second, qui faisait mine de s’y opposer, a jugé que ce texte allait dans la bonne direction. Le quart des échanges mondiaux est ici concerné, 18 000 milliards d’euros, qui seraient livrés à une concurrence furieuse, à un « commerce cannibale » selon la formule de la Confédération paysanne. Notre agriculture, et en premier lieu notre élevage, verrait déferler des milliers de tonnes de viande aux hormones, vendues à bas prix. Nos paysans n’y résisteraient pas… Nos estomacs non plus.

Les Brésiliens, Argentins, Uruguayens et Paraguayens ne seraient pas mieux lotis, soumis à l’irruption des groupes multinationaux, notamment du bâtiment et des travaux publics. C’est un accord perdant-perdant pour les peuples et gagnant-gagnant pour les financiers qui comptent pour rien la déforestation brésilienne, les droits de l’homme piétinés par Bolsonaro et la crise argentine pour peu que de juteux profits soient accumulés par l’extrême fortune.

D’autres épisodes de cette mondialisation dévastatrice sont en préparation. Quoiqu’il ne soit pas encore ratifié, le Ceta est déjà appliqué et l’accord UE-Canada menace. À chaque fois les droits sociaux seraient, avec l’environnement, les premières victimes de ce Monopoly géant.

Pourtant, si la Commission européenne et le président français se sont engagés pour imposer ce traité UE-Mercosur, il peut encore être mis en échec. Il ne sera validé que si les 28 parlements européens le ratifient. La pression de l’opinion sur les élus peut les conduire à un refus et au triomphe de la raison. Même au sein d’En marche, des dents grincent. Emmanuel Macron et le sinistre Jair Bolsonaro peuvent perdre ce bras de fer.


Les dangers du traité de libre-échange Mercosur

Qu’est-ce que l’accord avec le Mercosur ?

L’accord avec le Mercosur est un grand accord commercial avec les géants agricoles d’Amérique du sud regroupés dans un bloc commercial qui rassemble le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay.

Il crée une vaste zone commerciale de libre-échange Union-européenne – Mercosur qui englobera 800 millions de personnes. Dans cette zone 93% des produits sud-américains pourront rentrer sur le territoire européen sans restriction ni droits de douane et 91% de produits européens pourront le faire dans l’autre sens. Il permettra aussi un accès facilité aux marchés publics sud-américains et services tels que les télécommunications et les transports.

Pour les exportateurs européens de services ou de produits industriels comme l’automobile, les machines-outils ou la chimie, c’est considéré comme une bonne nouvelle, car ce sont à terme 4 milliards d’euros de droit de douanes en moins, c’est aussi autant de perdu pour les États sud-américains et la contrepartie demandée par le Mercosur est lourde de conséquences.

En quoi cet accord est dangereux ?

En échange de l’ouverture des marchés sud-américains sur les services et produits industriels, le Mercosur obtient des concessions significatives sur l’agriculture. Les restrictions dont nous disposions pour protéger nos filiales d’élevages de bœufs notamment, de poulets et de porcs volent en éclat. C’est toute l’agriculture européenne, notamment les petites exploitations, qui sont menacées de fermeture face à la concurrence des géants sud-américains. C’est la consécration d’un modèle productiviste avec des fermes-usines géantes pourtant responsables d’une misère sociale terrible au Brésil – qu’on pense au mouvement des paysans sans-terre -, et qui va accélérer la déforestation de l’Amazonie pour produire toujours plus pour le marché européen.

Par cet accord, les dirigeants européens pourtant en partance décident de transférer une partie de notre souveraineté alimentaire au Mercosur. C’est tourner définitivement le dos au modèle de l’agriculture paysanne en le soumettant à une concurrence sud-américaine imbattable.

Il confirme une tendance entamée avec l’accord avec le Canada et le Japon : celui de la segmentation de notre agriculture. Nous aurons d’un côté une agriculture à haute valeur ajoutée avec des appellations européennes protégées (comme le Roquefort, le jambon de Parme, la Feta…) exportées plus facilement au Mercosur ; et de l’autre côté une agriculture de produits de base, les céréales, les viandes que nous sous-traitons aux géants agricoles en échanges de l’ouverture de leurs marchés.

La Commission a beau jeu d’annoncer que 351 appellations européennes seront légalement protégées dans les pays du Mercosur, mais pour tous les petits éleveurs français qui font des viandes de qualité sans être couverts par ces appellations c’est la fin face aux géants sud-américains, comme le groupe brésilien JBS, premier producteur de viandes au monde.

Au final on peut résumer cet accord à des voitures allemandes contre du bœuf brésilien élevé sur des pâturages conquis sur la forêt amazonienne.

Peut-on croire à la « vigilance » de Macron ?

Non car les concessions sur l’agriculture ont déjà été faites sur le bœuf il y un an lorsque le gouvernement français n’a pas bloqué l’offre de la Commission d’un quota de 99 000 tonnes de bœuf sud-américain sans droits de douane. Les producteurs agricoles du Mercosur sont déjà très bien structurés pour l’export, donc ils pourront très rapidement occuper les marchés obtenus et les inonder. Face à cela, les mécanismes européens de protection sont beaucoup trop lents, et les petits producteurs européens déjà trop fragilisés par la libéralisation des marchés agricoles. C’est leur mort assurée.

Pareil pour l’environnement, le Président Macron et la Commission peuvent clamer autant qu’ils le veulent que les parties signataires s’engagent à respecter les accords de Paris, les chapitres « développement durable » des accords de commerce de la Commission ne contiennent aucune obligation légale environnementale, contrairement aux parties commerciales. Enfin qu’attendre de son interlocuteur brésilien, Jair Bolsonaro élu avec le soutien de l’agro-business et dont les premiers actes au pouvoir ont été de défaire les protections environnementales et de faciliter la déforestation de l’Amazonie ?

Cet accord est-il anti-démocratique ?

Il l’est des deux côtés de l’Atlantique. Côté européen les négociations ont été faites sur la base d’un mandat de négociation datant de 1999 ! Depuis ces 20 années à aucun moment la Commission n’a cherché à actualiser son mandat auprès des gouvernements européens ou auprès du Parlement européen.

Côté sud-américain l’aboutissement des négociations est le fait de deux hommes. Jair Bolsonaro est arrivé au pouvoir au Brésil après un coup d’État judiciaire qui a mis Lula en prison avec le soutien des lobbys évangélistes et des gros producteurs agricoles. Mauricio Macri, le président argentin, va surement perdre les élections face à Christina Fernandez Kirchner et se hâte de signer cet accord avant de quitter le pouvoir.

Cet accord doit encore être validé par le Parlement européen et l’Assemblée nationale. Pour notre agriculture, pour la lutte contre la déforestation en Amazonie, pour la qualité alimentaire, pour le respect de la démocratie en Amérique du Sud comme en Europe, nous devons l’arrêter.

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